Tab 6
(On retrouve les quatre personnages du campement)
Delphine Je sais pas si y fait chaud, sur la planète à E.T. mais moi, je me caille les miches ! Pas vous ?
Marina Le sang de navet qu’elle a, celle-là !
Vlacic Oh non, dis, ce n’est pas une histoire de sang de navet ! C’est vrai qu’il commence à faire froid. Je suggère d’aller chercher des couettes dans les tentes si on ne veut pas tous rentrer malades !
Nadia Je peux faire une suggération, moi aussi ?
Delphine (rigolant) Ha Ha ! Une suggération !
Nadia Ben quoi, qu’est-ce que j’ai dit ?
Delphine Une suggestion, eh, patate !
Nadia Et alors, c’est kif-kif !
Vlacic Vas-y, Nadia, suggerationne- nous quelque chose, on t’écoute.
Nadia Et si on se faisait un grand feu de bois, pour se réchauffer ?
Marina Delphine Ah ouais ! du feu, du feu!
Marina Un super- feu, que même là-haut, y pourraient le voir !
Vlacic Et bien, c’est vrai que ça aurait été une très bonne idée si on n’avait pas voulu faire des observations astronomiques, mais, justement, ce n’est pas très possible…
Delphine Pourquoi ça nous empêche, le feu ? Ca serait super- cool !
Vlacic Parce que le feu, ça ferait de la lumière, trop de lumière parasite et la colonne de chaleur, ça ferait vibrer l’image du ciel, on aurait l’impression que les étoiles dansent la sarabande !
Nadia Ben, le feu, on l’éteindrait au moment de la comète…
Vlacic Et là, ça ferait de la fumée, ça piquerait les yeux…
Marina C’est pas juste, ça ! Ca fait longtemps que j’en ai envie, d’un feu de bois, des grillades, de la zicmu… La teuf !
Nadia On attraperait d’abord une bête, qu’on la ferait rôtir !
Vlacic On ne peut pas ce soir, mais je vous promets qu’on va étudier la proposition, c’est promis. En attendant, allez chercher des couvertures ou des vêtements chauds. Et puis, on pourrait refaire du thé, vous ne croyez pas ?
Marina Bon, on y va, les filles.
Vlacic Vous me dites si Armandine est réveillée…
Marina Vous inquiétez pas, on s’en occupe !
(Elles s’approchent de la grande tente. Marina arrête Delphine)
Marina (Bas) Tu restes avec lui, tu fais en sorte qu’y s’approche pas de notre tente.
Delphine (Bas) Compris ! (Haut) Hé ! Nadia ! Tu prends ma couette ? Je remets de l’eau à chauffer !
(Elle revient vers la table de camping et interpelle monsieur Vlacic)
Delphine Dites, pourquoi on est venu si tôt, si l’étoile elle passe qu’à onze heures et quelque chose ? Et qu’on repart pas juste après puisque y’aura plus rien à voir ? Toute une après-midi et toute une nuit pour un truc qui dure même pas une heure, chais pas, je trouve que ça fait beaucoup de temps perdu.
C’est pas que j’ veux pas la voir, au contraire, j’ai même vachement envie qu’elle soye déjà là, pis j’ voudrais vérifier quelque chose, mais c’est comme pour un film au cinoche, on arrive pas deux heures avant et on s’en va quand c’est écrit le mot FIN. Enfin, je dis ça…
Vlacic Elle est drôlement intéressante, ta question. Qu’est-ce que tu aurais répondu, toi, si on te la posait ?
Delphine Ben, justement, je sais pas. Peut-être qu’on est venu si tôt pour que personne prenne la place avant nous et qu’on repart que demain parce que vous aimez pas conduire la nuit…
Vlacic Pour te répondre, je vais moi-même te poser une question.
Si un jour un garçon est amoureux de toi et veut te faire cadeau d’un superbe bijou…
Delphine Ah ben, c’est pas ici que je risque de le trouver !
Vlacic Attends, laisse-moi finir ! Donc, il a envie de t’offrir un superbe bijou. Tu préfèrerais qu’il te le présente dans un vulgaire sac plastique de l’Intermarché ou dans un bel écrin avec le nom du joaillier écrit en lettres d’or ?
Delphine Dans l’écrin, tiens ! Un cadeau, c’est un cadeau ! Surtout d’un amoureux ! Sinon, ça compte pas !
Vlacic Alors, écoute bien ce que je vais te dire : et si le temps que l’on passe tous ensemble cette nuit, chaleureusement, c’était l’écrin pour cette perle rare que serait la comète ?
Delphine Ah, ça, j’y aurais pas pensé !
Vlacic Tu vois que ta question était très profonde, si si, tu as bien fait de la poser…
Delphine Dites, monsieur Vlacic…
Vlacic Oui ?
Delphine Et si… Et si le coup de l’étoile, c’était l’écrin pour un bijou qui serait le temps, chaleureux, comme vous dites, qu’on aura passé tous ensemble cette nuit ? Ca peut marcher dans ce sens, aussi ?
(Ils se regardent en silence. Les deux autres filles réapparaissent chargées de couettes et d’habits chauds)
Marina (Bas) Ca y est, on a pris tout ce qu’y faut. Chut ! Faut pas faire trop de bruit !
Vlacic Armandine dort toujours ?
Nadia On l’a pas réveillée !
Vlacic C’est bête, ça. Elle va finir par rater la comète, dites !
(Les filles s’habillent chaudement et se glissent avec plaisir dans leur couette. Monsieur Vlacic s’enroule dans une couverture et se coiffe d’un bonnet à pompon.)
Marina (Riant) Hé ! Monsieur Vlacic, vous avez un oursin sur la tête !
Delphine Mais non, c’est la comète ! C’est monsieur Vlacic, la comète !
Nadia C’était pas la peine de venir si loin pour la voir, on l’a tous les jours à la maison !
Vlacic (Comprenant enfin) Mais non, vous êtes bêtes ! C’est un pompon ! On les faisait comme ça, avant, les bonnets, avec un pompon !
Nadia Il est pas top à la mode, mais en boite, vous feriez un malheur avec ça !
Vlacic Hé Hé Hé ! En boite ! Avec mon bonnet à pompon ! C'est vrai qu'il n'est pas d'aujourd'hui, il a au moins vingt ans! C'est une vieille dame que je connaissais qui me l'a tricoté! C'est de la vrai laine. J'y tiens beaucoup, il est drôlement chaud, en plus!
Delphine Moi, je crois qu'on aime plus garder les trucs chauds que les trucs froids.
Marina Pourquoi tu dis ça? C'est quoi tes trucs chauds et tes trucs froids?
Delphine Oh, chais pas, j'y ai jamais réfléchi avant, mais c'est en voyant monsieur Bonnet avec… Oh! Pardon!
Nadia Monsieur Bonnet! Monsieur Bonnet! Avec son Vlacic!
Marina Monsieur Bonnet! Ca, ça va vous rester alors!
Vlacic Ah non! Pas monsieur Bonnet, dites! J'y tiens, moi, à mon nom.
Delphine S'cusez moi, hein, j'ai pas fait exprès; c' que j' voulais dire, c'est que monsieur Vlacic, lui, il a gardé un vieux truc et c'est un bonnet bien chaud avec un pompon. Et bien moi, c'est pas pareil mais c'est un peu la même chose, de tous les tas de jouets que j'avais petite, c' que j'ai gardé, c'est mon Prosper.
Marina C'est quoi, ça, ton Prosper?
Vlacic Oh oui, oh oui, dis, c'est quoi, le Prosper?
Delphine Oh, ben, les filles ont déjà dû le voir… (elle farfouille à ses pieds sous sa couette et en ramène un ours en peluche rose) C'est lui, Prosper…
Marina J'y crois pas! T'as ramené c't' horreur ici! Tu l'as pas encore flanqué à la poubelle?
Delphine A la poubelle? Ca va pas, non?
Nadia T'es vraiment restée coincée dans tes couches-culottes, toi! Tu t' pètes pas la honte, non, à te trimballer avec ta peluche de bébé? T'as pas amené ta tut-tut, du temps que t'y es?
Delphine Qu'est-ce qu'y a? Tu me cherches, toi? T'en veux une?
Vlacic Eh! Mesdemoiselles! Mesdemoiselles! Vous n'allez pas vous battre, non? Je sais que vous avez envie de vous réchauffer, mais…
Delphine Oui, ben, qu'elles me lâchent, alors!
Nadia Ca va, ça va, joue à ta dînette et oublie moi…
Vlacic Allez, c'est fini…
Marina Je s'rais curieuse quand-même de savoir ce que tu fais avec ça…
Delphine Ca te regarde?
Marina Non, sérieux, j' te cherche pas, c'est pour comprendre, juste, si tu l'emmènes partout, même à la montagne, c'est pas pour lui faire prendre le grand air, pour qu'y respire, non? Tu lui parles, y te répond?
Vlacic C'est peut-être un peu intime, comme question, Delphine n'a peut-être pas envie d'y répondre…
Nadia Hum, bon, tout le monde veut du thé?
Vlacic Oh oui! Un thé bien chaud!
(Nadia sort de sa couette, va à la table de camping, remplit quatre tasses de thé qu'elle ramène sur un plateau qu'elle dispose au centre du petit cercle. Elle se replonge dans son duvet. Chacun se saisit d'une tasse. Tout cela dans le plus grand silence.)
Delphine (Tout en touillant le thé trop chaud) Quand t'es minotte, t'as toujours envie de dire les trucs que tu ressens à quelqu'un, tout ce qui te passe dans la tête. T'as toujours envie de partager, de poser des questions: pourquoi ci, pourquoi ça, t'as toujours envie qu'on te réponde, même si les réponses, t'en as rien à faire, que tu les comprends pas. Ce qui compte, c'est que la grande personne elle t'a écoutée et qu'elle t'a répondu, comme si toi aussi t'étais une grande personne comme elle, quelqu'un d'important, la personne la plus importante du monde.
Moi, j'avais personne, personne pour répondre à mes questions, pour les écouter, pour m'écouter. Comme si j'existais pas, en tout cas, comme si j'avais pas d'importance.
Ma mère, elle m'adorait, elle vivait que pour moi, mais elle était presque jamais là, elle travaillait tout le temps. Alors, pour se faire pardonner, elle m'achetait des jouets, des tas. Des poupées, j'en avais de tous les coins du monde, des peluches, des girafes, des rennes, des kangourous, des machins chavais même pas que ça existait.
Elle m'avait mise à la petite école mais j'avais trop peur. Tous ces gamins qui courraient, qui me battaient, tous ces grands qui criaient… Alors, je pleurais, je pleurais, tout le temps. Alors, y z'ont dit qu'on me voulait plus, que j'empêchais les autres de chais pas quoi, alors j'ai été chez une Nounou qui m'aimait pas, elle me collait devant la téloche toute la journée, y fallait pas que je sorte de la pièce de la télé pour pas que je salisse, même qu'un jour elle m'avait battue pace que j'avais écrit sur un mur.
Pis voilà, j' me suis mise à passer mes journées sous une couverture, dans un coin, avec mes nounours et mes poupées. Fallait pas qu' y traînent, alors je les serrais bien contre moi, sous la couverture et je leur parlais pendant tout le temps. Et eux, y me répondaient, chuis sûre qu'y me parlaient, tu peux toujours rigoler, Nadia, et toi aussi, y m'écoutaient et y me regardaient gentiment avec leurs grands yeux, plus que l'autre avec ses sales yeux de sorcière.
Puis un jour, des gens sont venus, y z' ont dit que maman reviendrait pas me chercher tout de suite, plus tard, qu'elle viendrait, qu'en attendant on allait me mettre chez d'autres gens, avec d'autres enfants. Alors, j'ai été dans des familles, dans des Centres, j' parlais presque à personne, qu'à mes poupées, mes nounours, enfin, ceux qu'on me laissait pace qu'y paraît que j'en avais trop, que ça encombrait, qu'y fallait que je grandisse, que je les oublie. Tout le temps, on me disait ça.
Quand je parlais aux gens, c'était toujours pour demander quand maman elle viendrait me chercher, que je voulais la voir. Alors, un jour, une femme chez qui j'étais avec d'autres, elle m'a répondu: "Comment, tu sais pas, y te l'ont jamais dit? Elle est morte, ta mère, ça fait longtemps.."
(Delphine s'effondre en sanglots, les deux autres filles se précipitent vers elle pour la consoler, Marina la serre dans ses bras.)
Marina Delphine, Fifine, pleure pas, on est là , Fifine, t'as des copines, maintenant, t'es plus toute seule, tu le sais, hein, tu le sais?
Nadia J'te demande pardon, pour tout à l'heure, chuis conne, des fois…
Vlacic Ne dis pas ça, Nadia. Des fois, on parle sans réfléchir. C'est bien de te rendre compte que tes mots ont pu blesser ta copine. C'est bien!
Delphine (Se reprenant) De toutes mes poupées et mes ours, y m'ont laissé que Prosper. J'ai jamais voulu qu'on me le prenne. Y me reste que lui de ma mère. J' lui dis tout ce que je fais, je l'emmène partout, jamais y pourront nous séparer. Y'a toute ma vie dans ses yeux à lui. Les trucs biens, les conneries, tout ce que j'ai pu faire pour croire que j'existais.
La femme, celle qui m'a appris la mort de ma mère, chais pas si c'est pour me consoler ou quoi, elle m'a dit après: " Y'en a qui disent que les gens qui meurent, y vont sur les étoiles et qu'ils nous attendent; chais pas si c'est vrai, qu'elle m'a dit, mais est-ce qu'on sait jamais tout?"
Vous pouvez pas savoir, cette nuit-là et plein d'autres après, les heures et les heures que j'ai passées avec Prosper à regarder si je la voyais pas, là-haut… Je l'ai jamais vue, je m'endors toujours avant. Et je me fais engueuler que je suis débile de dormir comme ça sur une chaise devant la fenêtre alors que j'ai un lit bien chaud, comme tout le monde…
Marina Peut-être qu'elle sera sur celle qui va passer cette nuit?
Delphine Peut-être. C'est un peu, beaucoup, pour ça que j'ai voulu venir ce soir…
« Col de la Biche » Tab 6 Texte déposé à SACD/SCALA
3 commentaires:
j'attends avec elles... j'ai tout mon temps maintenant...
Dis-donc, la nuit à attendre les étoiles, ça te dénoue les langues ...L' écrin de la rencontre dans le silence de la nuit ...
Pendant ce temps, avec Didine, on avance, on sait pas trop où ...
C' est fou ce qu' on a envie finalement de retrouver la mère ...
Heureusement que les copines ont pas encore vendu la mèche ...
PS Je comprends maintenant pourquoi on pouvait pas faire du feu ;-)
Salut, Mesdames qui venez si gentiment partager notre nuit d'apparition et de disparition... Nous nous sentons moins seuls, mes personnages et moi.
Merci et à tout bientôt!
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