22.8.06

Trois p'tits coquelicots 1





Le meuble au lourd secret. Décor de la pièce au théâtre le Carré 30 en 2012.




Trois p’tits coquelicots



Personnages
 
Bûchette,  jeune prostituée en cavale.
Gildas, l’occupant de l’appartement, veuf.
Marie-Hélène, la défunte épouse de Gildas.






Scène 1

 
(C’est la nuit. On entend courir dehors . Des chiens se mettent à aboyer. Une voiture passe au ralenti et s’éloigne. A nouveau des pas précipités puis le bruit d’une serrure qu’on crochète. Une porte qui se referme. On entend haleter à l’entrée du salon. A l’extérieur, les chiens finissent par se taire.Une silhouette pénètre prudemment dans la pièce. Salon très sobre avec : une table basse, deux chaises, une espèce d’autel où sont disposés un portrait de femme dans un cadre noir, un vase contenant un bouquet de fleurs et un faux cierge électrique qui dispense la seule clarté de l’endroit. La silhouette s’habitue au peu de lumière puis se laisse choir sur une chaise. La respiration redevient normale. Soudain, une vive lumière s’éclaire tandis qu’un homme en robe de chambre surgit par la porte de la chambre.)

 
Gildas    Et bien, ça va ? Faut pas se gêner !

Bûchette    (Se lève précipitamment, se jette sur Gildas tout en chuchotant violemment) La lumière, connard !

Gildas    Hé, là, Ho ! ...

Bûchette    La lumière, que j’te dis. Et ta gueule, t’as compris, ta gueule !(La lumière s’éteint)

Gildas    Lâchez-moi, vous me faites mal.

Bûchette    O.K, pépère, j’vais te lâcher, mais un mot trop fort, un cri, un appel, j’te butte. Compris ?

Gildas    Vous, vous êtes armée ?

Bûchette    (Exhibant un pistolet) Et ça, c’est du nougat ? Allez, va t’asseoir sagement et silence, hein, silence.
(Gildas s’assoit sur une chaise, Bûchette sur la table basse)

Bûchette    T’as des clopes ?

Gildas    (A voix haute) Des quoi ?

Bûchette    A voix basse, putain de merde ! Tu cherches un pruneau ou quoi ? J’te demandais si tu avais des cigarettes.

Gildas    Non. Je ne fume pas, désolé.

Bûchette    Désolé ! P’tit bonhomme va !

Gildas    Je ne suis pas votre…

(A ce moment-là, se fait entendre à nouveau le ronronnement d’une voiture qui roule au ralenti. On entend aussi les chiens qui se remettent à aboyer).

Bûchette    (Pointant son arme sur Gildas) Chut !
(Situation figée jusqu’à ce que le véhicule ait disparu et que les chiens se soient calmés.)

Bûchette    Ils lâcheront pas le morceau, les affreux. Dis, pépère…

Gildas    Je ne vous permets pas…

Bûchette    Bon. C’est quoi, ton nom ?

Gildas    Je suis Monsieur Rebillard.

Bûchette    Tu veux pas que j’te donne du Monsieur, quand même, non ? Rebillard comment ?

Gildas    Gildas.

Bûchette    Gildas. Pas mal. Bon, pépère Gildas, il est grand comment, ton appartement ?

Gildas    Qu’est-ce que…

Bûchette    Réponds, Gilou.

Gildas    Gilou ! (Elle le menace) Bon, y’a que deux pièces, ce salon, ma chambre et la cuisine. Pourquoi ?

Bûchette    Deux pièces, ça fait une pièce chacun. C’est parfait, j'm’invite !

Gildas    Pardon ?

Bûchette    Écoute-moi bien, Môssieur Gildas. Les cannibales, là dehors, y m’ont perdue dans le quartier. Ils savent bien que je suis dans une de ces maisons. Ils vont tournicoter toute la nuit, plusieurs jours s’il le faut. Si je mets le nez dehors, il va pleuvoir du plomb, bien serré. Et pour ça, j’suis un peu jeune, j’ai d’autres plans de carrière, tu vois.Alors, comme t’es un gentil pépère tout seul… Au fait, t’es seul ici ?

Gildas    Ça ne vous regarde pas.

Bûchette    Réponds !

Gildas    Je suis seul.

Bûchette    J’veux en être sûre. Montre moi. Allez, debout. Fais moi visiter ton petit Versailles. Et pas d’entourloupe, hein !

(Ils se dirigent vers la chambre, y pénètrent, réapparaissent.)

Bûchette    Ben dis donc, ça incite pas à la galipette.

Gildas    Je vous en prie…

Bûchette    La cuisine, maintenant.

Gildas    C’est par là. La salle de bain aussi.

(Ils se dirigent vers le hall d'entrée de l'appartement)

Bûchette    (Derrière le décor) C’est propre, pour un homme seul. T’as une boniche ?

Gildas    (Derrière le décor) Non, c’est moi qui…

Bûchette    (Derrière le décor) Félicitations ! Allez, on retourne au salon.

(Ils réapparaissent)

Bûchette    Tu peux t’asseoir.

Gildas    Merci.

Bûchette    Je disais donc, comme t’es un gentil pépère tout seul et que tu t’ennuies un peu…

Gildas    Je ne m’ennuie pas du tout !

Bûchette    Chut ! Et comme tu t’ennuies beaucoup, tu vas inviter ta nouvelle copine à passer quelques jours avec toi, le temps que l’orage s’éloigne.

Gildas    Mais je refuse, je ne vous connais pas !

Bûchette    Plus bas, bordel !

Gildas    Vous débarquez ici, armée et menaçante….

Bûchette    Oh ! Si peu…

Gildas    Vous êtes recherchée par je ne sais qui, des gangsters, peut-être la police…

Bûchette    J’te jure que c’est pas les argouses
 
Gildas    C’est donc par des malfrats. Merci du cadeau ! S’ils vous trouvent chez moi, ils vont me féliciter, peut-être ! Vous êtes folle ou quoi ? J’ai pas envie d’être mêlé à vos histoires, moi. Je ne vous connais pas, vous n’avez rien à faire chez moi. Ça y est, ils sont partis, maintenant, fichez le camp, laissez-moi tranquille…

Bûchette    C’est tout ?

Gildas    Comment ça, c’est tout ? C’est un peu fort, tout de même !

Bûchette    Silence, nom de Dieu ! (Les chiens se remettent à aboyer, la voiture repasse)

Gildas    (Il se lève, se dirige vers la sortie de l'appartement) J’vais leur dire, que vous êtes là…

Bûchette    (Saute sur Gildas, lui colle son arme sur la tempe) Chiche ?

(On n’entend plus la voiture, les chiens se taisent, Bûchette relâche Gildas, lui balance une baffe.)

Bûchette    Refais jamais ça, triple con, refais jamais ça . Pourquoi t’as fait ça ? Tu voulais me donner ?

Gildas    Je voulais… Je voulais effacer un mauvais rêve. Remettre les choses en ordre ! Je dormais, tranquille, et vous arrivez, et vous me menacez…

Bûchette    Encore !

Gildas    J’ai rien demandé à personne. Je vis dans mon coin, tranquille, tout seul, je fais pas de bruit, j’emmerde personne, je parle à personne, je fréquente personne, ni les gentils, ni les pas-gentils, je suis en règle avec tout le monde, les commerçants, les impôts, les organismes, tout ! Vous entendez, je suis bien avec tout le monde ! Je veux qu’on me foute la paix ! Qu’on me laisse tranquille. Tranquille.Soyez gentille, je dirai rien à personne, partez, laissez-moi. Je dirai rien à personne, promis

Bûchette    Mets les pouces, petit père, ça sert à rien de flipper. Tu sais quoi ? J’ai la dalle ! Il aurait pas des noisettes en stock, le petit écureuil ?

Gildas    Vous…Vous voulez manger ? Vous avez faim ?

Bûchette    Comme on dit, les émotions…

Gildas    Ça creuse. Dans la cuisine, allez-y, servez-vous, il y a tout ce qu’il faut.

Bûchette    Gracias. Mais avant tout, une petite formalité. Pour éviter les dérapages, pour pas prendre le risque de sortir des clous…T’as que ce téléphone ?

Gildas    Ben oui, pourquoi ?

Bûchette    (Elle débranche l’appareil autour duquel elle entoure le câble) Pas de portable ?

Gildas    Pourquoi faire ?

Bûchette    Vrai ?

Gildas    Vrai .

Bûchette    Tes clés !

Gildas    Quoi, mes clés ?

Bûchette    Donne.

Gildas    Mais enfin…

Bûchette    Donne.

Gildas    Au clou, à côté de la porte.

Bûchette    Bouge pas . (Elle disparait dans l'entrée et revient illico un trousseau à la main) Et les sœurs jumelles ?

Gildas    Les quoi ?

Bûchette    Le deuxième trousseau !

Gildas    (Se lève, soulève le vase de fleurs sur l’autel et tend à Bûchette le trousseau de clés qui s’y trouvait) Pourquoi, tout ça ?

Bûchette    Ne nous soumets pas à la tentation…Amen…Gilou ?

Gildas    Hum ?

Bûchette    Ton croco.

Gildas    Quoi, à la fin?

Bûchette  
 Tsss, Tsss,Tsss. Passe moi la bête.

Gildas    Dans mon veston, dans la chambre.

Bûchette    T’as vingt secondes chrono.

(Gildas se lève et pénètre dans la chambre)

Bûchette    Oublie pas le mille feuilles et la ferraille, si t’as ça en rayon !

Gildas    Vous pouvez pas parler français, à la fin ? Qu’est-ce que vous voulez encore ?

Bûchette    Tes économies, même la monnaie, s’il te plait !

Gildas    (Revient et tend son portefeuille à Bûchette.) Tout est là-dedans.

Bûchette    Retourne tes poches. (Gildas s’exécute.) Bon, sois chou. Va nous préparer un petit pique-nique. J’pleure pas sur le rouquin, tu sais.

Gildas    (Disparaît dans la cuisine.) Ce sera tout pour votre service ?










(Pendant ce temps, Bûchette fouille le portefeuille, en sort deux ou trois billets de vingt euros, une carte d’identité, un permis, une photo.)

Bûchette    Pas de quoi faire des folies, hein ? Dis, c’est ta cop’s ?

Gildas    (Dans la coulisse) Quoi ?

Bûchette    Sur la photo, là.

Gildas    (Déboule comme un diable de la cuisine, se saisit de la photo et repart.) Rendez-moi ça, personne n’a le droit…

Bûchette    Hou la la ! garde-la, ta meuf…Dis, Gilou, c’est la même qu’à côté de la bougie ?

Gildas     (Dans la cuisine.) Oui, oui, oui. Vous n’y touchez pas, hein ?

Bûchette  Craché ! Juste avec les yeux. (Elle prend délicatement le cadre, regarde longuement la photo et la replace sur l’autel.) Putain, elle a la classe !

Gildas   (Revient de la cuisine avec un plateau contenant une boite de fromage, quelques tranches de pain de mie, une bouteille de rouge entamée, un verre, une pomme.) Madame est servie.

Bûchette   Il a de beaux yeux, ton calendos. (Elle attaque le fromage, se sert un verre de vin.)Dis, p’tit père…

Gildas    Quoi ?

Bûchette    C’était ta légitime ?

Gildas    Ça ne vous regarde pas.

(Il se lève, tourne le portrait de femme côté mur. A ce moment, nouveau passage de la voiture au ralenti, hurlements des chiens.)

Bûchette    (Se saisissant de son arme.) Chut ! Arrêt sur image.

Gildas    Ça va, ça va.

Bûchette    Chut !

(Tout redevient calme.)

Gildas    Ils sont persévérants. C’est qui ?

Bûchette    Des amis.

Gildas    Des amis…qui vous veulent du bien ?

Bûchette    Disons que je leur suis très, très chère ! (Elle se ressert un bout de fromage, un verre de rouge.) T’en veux ?

Gildas    Pas faim. J’ai pas l’habitude de manger en pleine nuit.

Bûchette    Y’a pas que les habitudes, dans la vie. Y’a les jours de fête.

Gildas    Et on fête quoi, aujourd’hui ?

Bûchette    La Sainte Vadrouille, mon gros père ! L’oiseau s’est barré de sa cage ! Ça vaut bien de claquer les verres, non ?

Gildas    Vous voulez dire que vous étiez prisonnière ? De qui ? Pourquoi ?

Bûchette    (Tournant son derrière vers Gildas.) Zieute-le bien, celui-là, mon gros loup. C’est de l’or en barre. Et quand on investit dans la pierre, on prend toutes les assurances. De là à tout bien barricader à triple tour, y’a qu’un pas. Faut comprendre…Seulement, le zoiseau, il a eu un peu envie de se dégourdir les plumes, d’aller taquiner l’asticot en pleine nature. Et me voilà ! Pourchassée par les gros matous en colère ! Mais t’inquiète pas, j’vais finir par trouver mon courant d’air.

Gildas    Permettez-moi de vous dire que le plus tôt sera le mieux, sans vouloir vous vexer…

Bûchette    Hou ! La vilaine scie égoïne ! Mais c’est qu’il vous foutrait à la baille sans bouée, l’affreux ! Hé ! Tu vas arrêter de montrer les dents, oui ?

Gildas    Hé ! Ça va, ça va ! Ça va…J’ai tout de même le droit de dire ce que je pense. Je suis chez moi.

Bûchette    Gentiment.

Gildas    Gentiment, gentiment… J’voudrais vous y voir, vous. Qu’est-ce qui me forcerait à héberger une… une…

Bûchette    Une pute.

Gildas    J’ai pas dit ça. Qu’est-ce qui me forcerait à héberger une prostituée chez moi, quitte à passer pour un proxénète ?

Bûchette    (Lui montrant l’arme.) Ça, cher Monsieur, et ta bonne éducation. Allez, fais pas le méchant. T’aurais jamais le cœur de larguer une fragile bulle de savon dans la tempête.

Gildas    Qu’est-ce que vous en savez ? Comment pouvez-vous savoir ce qu’il y a à l’intérieur ?

Bûchette    Mon bon vieux ! Y’a qu’à te regarder, avec tes yeux de chien battu, ta p’tite maison bien propre, ton p’tit mur des lamentations, son pot de fleurs, sa bougie, ses regrets éternels…

Gildas    Ça, ça n’a rien à voir. C’est un autre monde, vous ne pouvez pas comprendre. N’y touchez pas…

Bûchette     Faut jamais me dire de ne pas toucher à quelque chose. Ça m’excite, ça m’inspire, je fantasme. Chut !










(Moteur de voiture, aboiements.)

Bûchette    (A voix très basse) Y z'ont de la suite dans les idées. Tu sais, elle est très belle.

Gildas    Qui ça ?

Bûchette    (Désignant la photo dans le cadre) Elle.

Gildas    Je sais. Taisez-vous. Vous oubliez qu’il faut faire silence ?

Bûchette    Chuchoter, c’est un peu du vol, un p’tit jeu interdit, un petit ruisseau de montagne…Gildas... Vous êtes folle.

Bûchette    Je sais.

(Le silence extérieur revient.)

Gildas    Vous ne savez pas ce que vous voulez, vous. Un coup il faut faire le silence et la fois d’après, en pleine alerte, vous n’arrêtez pas de parler…

Bûchette    Je parlais pas, Gilou, je parlais pas, c’est mon cœur qui battait. Tu me sers un coup de rouge ?

Gildas    Servez-vous.

Bûchette    C’est toi l’homme, p’tit père, sois galant.

Gildas    (La servant.) C’est ça, soyons galant. A la bonne votre…

Bûchette    Dis, Minet…

Gildas    Quoi encore ?

Bûchette    Tu voudrais pas la retourner vers nous ? Ça me fait de la peine pour elle.

Gildas    Oubliez-la, s’il vous plaît. Je vous ai déjà dit que ça ne vous regardait pas. Laissez-la en paix. Il... vaut mieux qu’elle ne voit pas ce qui se passe ici cette nuit.

Bûchette    Gildas…

Gildas    Quoi ?

Bûchette    Tu me fatigues. Tu veux pas aller dormir ?

Gildas    Je ne demande que ça, moi, de retrouver mon sommeil d’où vous m’avez arraché à votre arrivée. Et vous, qu’est-ce que vous faites ? Vous persistez à rester ?

Bûchette    Bien sûr, je reste. Donne moi une couvrante, je dormirai par terre, si j’y arrive.

Gildas    Mes papiers, mon argent, mes clés…

Bûchette    On verra ça demain. T’en a pas besoin pour faire ton gros dodo ? Oublie pas la couverture.

(Gildas disparaît dans sa chambre et revient avec une couverture.)

Gildas    C’est tout ce que j’ai…

Bûchette    On fera avec. Merci quand même. Bonne nuit, gros Nounours.

Gildas    C’est ça, bonne nuit. Au fait, c’est quoi, votre prénom ?

Bûchette    On m’appelle Bûchette, dans l’bastringue.

Gildas    Bûchette ! C’est pas un prénom. Pourquoi on vous appelle comme ça ?

Bûchette    Paraît qu’y en a pas deux comme moi, pour les tailler, les « bûchettes » !








"Trois p'tits coquelicots" extrait 1 texte déposé à SACD/SCALA




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